« Rubrica » : synchronisation de répertoires multilingues

S’il y a quelque temps, nous avions parlé de comment synchroniser les calendriers sur plusieurs dispositifs en se passant des services Google, aujourd’hui, je souhaite créer, avec le même outil, un carnet d’adresses synchronisé.

Avant même de lister les étapes de ce rapide processus technique, une curiosité linguistique.

En italien, « carnet d’adresses »  peut se traduire avec le mot « Rubrica ».

Ce terme vous évoquerait quelque chose ?

Pour les gourmets passionnés de cuisine italienne, il est impossible de ne pas penser à la sauce « Rubra », accompagnement du « bollito alla piemontese » !

Bien que personnellement je préfère il bagnetto verde dans lequel on glisse une pointe de Rubra (petit bonus : la recette du bagnët vërt), il ne s’agit que d’une nuance chromatique. Rubra vient en effet du latin rouge.

Quel rapport alors entre la couleur et notre carnet d’adresse ?

Rien de plus évident : depuis l’antiquité, on utilisait une encre rouge pour écrire les premières lettres des ouvrages et, encore aujourd’hui il n’est pas rare de voir un répertoire où les lettre de l’alphabet sont en rouge…


Cela n’est pas tellement intéressant pour les adresses mail, car chaque account mail possède déjà un carnet d’adresses synchronisé.

Trois moyens de sauvegarde
Trois moyens de sauvegarde pour être à l’abri : version papier, téléphone, backup Synchthing et (enfin) copie synchronisée (image Pixabay)



Toutefois, il peut se révéler bien pratique pour avoir accès à ses numéros de téléphone (cela dit en passant, il est possible aussi d’enregistrer les anniversaires, des notes et les e-mails de chaque contact).

Épuisée par une intense journée de formation, j’ai partagé une agréable soirée dans un restaurant gastronomique thaïlandais avec les collègues.

Accidentellement, j’ai oublié mon téléphone au restaurant ! Cela ne m’était jamais encore arrivé. J’ai été désemparée en me rendant compte de la centralité d’un smartphone dans la vie pratique de tous les jours…

Heureusement pour moi, j’ai réussi — finalement sans trop de problèmes — à remettre la main sur mon téléphone (avant même qu’il soit accidentellement wipé).

Mais j’ai réalisé que mon carnet en papier sur lequel je faisais une sauvegarde de mon répertoire, il n’était plus à jour depuis belle lurette. Comme je l’ai expliqué, j’avais fait le choix de me passer des services Google (grâce à LineageOS, je vous en ai déjà parlé ?).

LineageOS Android degooglolisé
Calvin Hogg a dessiné le logo de LineageOS, Android degoogolisé que j’utilise depuis 2018

Ce qui signifie, que je ne partage pas mes contacts avec des serveurs commerciaux. Mais je me suis rendue compte qu’en fait, à part les backup régulier du téléphone, je n’avais pas de synchronisation des contacts !

Ayant déjà installé Baïkal pour mes agendas (dont je ne peux qu’admirer la praticité et l’efficacité), trois minutes ont suffi pour mettre à l’abri mes précieuses données.

Pour cela :

  • Je me suis logguée sur mon serveur Baikal (voir l’article précédent pour les instructions d’installation).
    Petit moment de panique car mon gestionnaire de mots de passes ne me proposait rien…
    Il faut se souvenir que pour faire cette manip’, il n’est pas nécessaire de se logguer avec le user du compte crée, mais avec les droits d’administrateurs !
  • Une fois logguée en root, je peux rajouter un nouveau carnet dans mon compte.

  • À ce moment-là, j’ai exporté tous mes contacts (Contacts > Paramètres > Exporter > Exporter vers fichier VCF [à remarquer, un petit bug si je choisis l’option « Partager tous les contacts » : je ne sais pas pourquoi, mais le partage ne concerne qu’un seul contact ?]) vers un fichier VCF.
  • Dans DAVx5 (téléchargé depuis le store opensource F-Droid), j’ai synchronisé le nouveau carnet d’adresses (pour l’instant vide) et je l’ai relié à un nouveau compte dans mes contacts.
  • Ensuite, il ne restait qu’importer sur le nouveau compte mon fichier VCF avec les contacts (ce qui prend un peu de temps, même si finalement, j’étais surprise des dimensions réduites du fichier malgré l’ampleur des contacts).



    Et pour la prochaine fois, je pourrais choisir d’enregistrer le nouveau contact directement dans le carnet d’adresses partagé !

Lexique de crise (premier épisode)

Italie et France sont parmi les pays les plus touchés au monde dans la crise du COVID19.

Une période difficile des deux côtés des Alpes. Au-delà des différences nationales, dans la Botte comme dans l’Hexagone, on fait face à une situation délicate, avec beaucoup de décès, des mesures contraignantes pour la population, une crise économique qui se dessine, des soignants sous-pressions

Mais également des solidarités qui se tissent ! Les deux Pays semblent partager la même envie de ressortir humainement enrichis de la crise, en prospectant de nouveaux horizons.

Petit conseil de lecture : le blog d’une artiste italo-française qui peint avec beaucoup de justesse et d’émotion la réalité (et la crise) des deux pays.

En tant que traductrice italienne en France, la veille informationnelle fait partie de mon quotidien. Chaque jour, j’analyse les principaux médias, italiens comme français.

Dans cet article, je ne profiterai pas de mon expertise anthropologique pour présenter une comparaison des différents vécus de la crise ; cela demanderait une bien longue étude. Je vais esquisser quelques considérations terminologiques à propos des mots utilisés dans la communication autour du covid.

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la parenté entre les deux langues ne nous prive pas de différents défis de traduction.

Le premier défi : le confinement

Prenons un terme qui revient avec insistance dans la vie de chaque jour : « confinement », dans sa déclinaison future « dé-confinement ». Comment traduire cela en italien ?

Le calque traductologique confino séduit par sa brièveté.

Cependant, ce mot n’a pas du tout la même signification. Le confino c’était une mesure répressive de la dictature fasciste. À la veille de la fête du 25 aprile , qui marque la Libération de l’Italie du fascisme, cette traduction semble fort inapproprié. Au début le régime de Mussolini, les dissidents politiques et les intellectuels d’opposition étaient envoyés en isolement dans différents recoins rurales d’Italie (comme il nous le raconte si bien Carlo Levi, dans Il cristo si è fermato a Eboli). C’était cela le confino. Bien évidement ce mot est complètement inadapté à la situation actuelle…

25 avril Italie fin du confino
La fin des pratiques de confino (et autres barbaries) avec la Libération au 25 Aprile. Une scène de joie à Venise, sans respecter la distanciation sociale…

Confinamento serait un autre calque, encore plus calqué que le précédent. Une recherche google à son propos est bien éloquente : les deux principales occurrences du terme viennent de l’Ambassade d’Italie à Paris et d’un site de Suisse. Autant dire que, même si on peut sporadiquement le retrouver dans quelques sites d’information, ce n’est pas celui qui est le plus répandu.

Si la page d’accueil du Monde.fr héberge, aujourd’hui, 33 fois le mot « confinement », ni La Repubblica, ni La Stampa, ni Il Corriere della Sera présentent une seule occurrence de ce mot.

Les Italiens utilisent quel terme ?

Le hashtag #iorestoacasa nous donne peut-être quelques pistes. En effet, il ne s’agit pas simplement d’un code de réseaux sociaux. En Italie, il s’agit du nom officiel du décret ministériel qui établit les mesures contre le coronavirus. D’ailleurs, Josiane Podeur, parmi les traductologues qui ont travaillé dans la comparaison entre français et italien, nous le dit. La langue française préfère en général les substantifs aux adjectifs, alors que c’est le cas inverse pour l’italien.

la reticenza riguardo all’aggettivo si esprime di nuovo nell’uso preferenziale del nome: « Le tour substantif – scrivono Cressot e James – frappe d’avantage que ne le ferait un épithète normale ». […] L’italiano mantiene di norma un atteggiamento contrario [1]

C’est tout à fait normal, en conséquence, que certains substantifs ne trouvent de correspondance en italien.

Un autre phénomène linguistique nous vient à l’aide. C’est l’amour de l’italien pour les mots anglais. En effet, plusieurs média n’hésitent pas à faire recours au mot lockdown pour parler de la situation actuelle . Introduire un anglicisme dans un texte qui en était originellement dépourvu pose cependant quelques problèmes.

Une autre proposition paraît témoigner une solution imparfaite à niveau lexical, mais adhérente aux utilisations effectives. Il s’agit du mot « quarantena ». Bien qu’en français, quarantaine et confinement ne soient pas superposables dans leur signification exacte, en italien on peut remarquer une utilisation très large de ce mot pour parler du confinement. Le travail de l’artiste ZeroCalcare et sa série dessinée Rebibbia Quarantine est exemplaire à ce sujet.

Comment traduire alors ?

Les traducteurs ont une réponse toute prête : selon le contexte !

Si aucun terme ne correspond de façon satisfaisante à « confinement », nous pouvons adapter la structure des phrases afin de communiquer la même idée. Cependant, si le mot « confinement » est utilisé en rapport avec la situation française, l’utilisation du calque est légitime.

Voici pour aujourd’hui les quelques réflexions d’une traductrice sur le terme confinement.

Espérons au plus vite pouvoir s’interroger sur le dé-confinement !

 

Bibliographie

Carlo Levi, Cristo si è fermato a Eboli, traduit par Jeanne Modigliani en français et publié par Gallimard pour la première fois en 1975. En 1979, Francesco Rosi en réalise un film avec, entre autre, Gian Maria Volonté.

Josiane Poudeur, La pratica della traduzione: dal francese in italiano e dall’italiano in francese, 1993, Liguori, 285 p.

Un cerveau multilingue ?

Souvent, on me pose la question : « dans quelle langue rêves-tu ? ».

En français ? En italien ?

Incapable de répondre, je repense aux images oniriques qui défilent dans ma tête la nuit. Selon les contextes et les personnes, des mots résonnent tantôt dans une langue, tantôt dans une autre.

En me réveillant, le premier récit qui pose les mots sur le songe va en déterminer la langue. Attribuer les signifiants aux signifiés parus dans le

traduction, culture, anthropologie
L’anthropologue Claude Lévi-Strauss fait de la pensée un attribut un mécanisme universel de l’espèce humaine, au-delà des différences de langue et de « civilisation ».

sommeil va choisir un langage qui n’est pas compartimenté dans ma pensée.

L’autre question à laquelle je ne trouve pas de réponse est, en effet, celle qui me demande dans quelle langue je pense. Français et italien sont tellement intégrés dans mon esprit que je peux compter en alternant les nombres.

Uno deux tre quatre cinque six sette huit nove dix undici douze tredici quatorze

Pourtant, ils ne sont pas indifférenciées : une langue a une tournure parfaite pour exprimer un concept qui fait défaut à l’autre ; dans une des deux, un certain champ lexical est bien plus développé, des mots spécifiques ciblent des idées et des objets inexistants dans l’autre.

Des études neurobiologiques et anthropologiques ont sondé en profondeur les mystères des rapports intercurrents entre langue et pensée. Le chapitre « Des mots pour le dire » de l’œuvre que j’ai traduite, Sottotraccia de Gabriella D’Agostino, creuse la question d’un point de vue théorique. Sous l’angle de la sémiotique de la connaissance, l’auteur arrive à considérer l’anthropologie comme discipline qui fait de la traduction des cultures son instrument par excellence.

Mais, au-delà des analyses scientifiques, la pragmatique du travail de traduction demande une solution concrète et immédiate à l’association des référents . Le défi constant de la traduction, vue comme la transposition d’un texte non seulement d’une langue à une autre, mais d’un un univers culturel à un autre, est bien là : savoir jouer avec les outils inégaux des deux langues pour rendre le même effet.

 

Bibliographie :

Gabriella D’Agostino, Sottotraccia, Bonanno Editore, Palermo, 2017, 220 p.

Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Plon, Paris, 1962, 395 p.

 

Les enseignements de l’absence de « campanella »

Pendant ces jours de fin d’hiver, je suis professeur d’italien dans un Collège et un Lycée.

Dans le cadre scolaire comme pour des formations professionnelles, transmettre  ma langue maternelle est un travail toujours enrichissant.

La gestion du temps des leçon est une des principales différence entre les cours pour adultes et  l’école.

Souvent, les adultes de mes cours ne sont pas pressés de finir l’heure et demie d’italien…Au début de ma carrière, il n’était pas rare de ne m’investir plutôt sur deux heures.

Quand on aime, on ne compte pas ! Rien n’était plus vrai. Nous apprécions tellement ces moments d’échanges et d’apprentissage que le temps passait bien trop vite.

L’italien à l’école

Cependant, dès mes premières expériences dans l’Éducation Nationale, j’ai bien vu qu’en classe, même si l’activité passionnait particulièrement les élèves, personne ne pouvait résister à l’appel de la récré !

Dans l’établissement où je travaille maintenait, les responsables ont fait un choix quelque peu déroutant mais pédagogiquement fort intéressant.

Il s’agit de l’absence de la « campanella », la sonnerie qui marque les heures et les récrées. À mon grand étonnement, les élèves participaient aux activités et suivent les cours jusqu’au but. L’empressement dicté par la sonnerie a complètement disparu. Cela donne un cadre extrêmement agréable pour l’enseignement.

Ma double casquette de professeur d’italien et de traductrice, me porte aussi à faire une autre considération à propos de cette absence.

 

Il s’agit du manque du terme « campanella » en français. En effet, je me suis rendu compte que, dans la langue de Molière, il n’y a pas de correspondant précis au mot italien.

Bien qu’aux plus érudits, Campanella, puisse faire écho au philosophe Tommaso, dans l’italien courant, c’est un mot qui renvoie de toute sa force au début (et à la fin) des cours.

cours de langue et culture italienne
La maison de Tommaso Campanella. Avait-il un « campanello » ?

À ne pas confondre avec il campanello, son homologue masculin qui nous ouvre des portes (la sonnette de l’interphone), la campanella pourrait être traduite avec la « sonnerie de la fin et des début des cours ».

Une périphrase qui ne change cependant pas le temps des cours d’école.

En effet, cette expérience d’enseignement m’apprend  que l’absence de certains termes peut témoigner d’un rapport culturel différent aux référents dont ils sont les signifiants.

Ma campanella mentale me prévient que j’ai fini le temps à ma disposition pour écrire sur le blog. J’ai des cours à préparer et des copies à corriger.

Nous nous reverrons bientôt j’espère.